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Rivière rouge (2020)
Si j'avais une lettre (d'amour) à écrire à chaque crique, rivière, fleuve, cours d'eau, et à les envoyer chacune dans leur flot,
voici ce qu'elles seraient.
*
PARTIE I :
LE CORPS DE LA RIVIÈRE
Le corps est un fleuve :
aux origines de l'histoire
la mienne
la nôtre
comme si notre destin était lié à la terre
ou à l'eau
À la rive
*
Le plan nord
I. Ouvrez les cartes (au couteau)
laissez sortir le méchant
le terroriste et sa femme
la mulsulmane et ses enfants sans yeux
l'artiste et ses pots de langues de boeuf
le cadavre en urgence d'enfouissement
le charlatan en voie de sélection au Conseil des Arts
II. Développer les régions
nourrissez l'Indien pour pas qu'il se révolte :
donnez-lui un pot de confiture
tuez les autres
III. Partagez-le
Tout ceci et +
dans votre Réseau.
*
Et le Nord est perdu
Tout ton corps s'apparente-
Ô Rivière
rouge
de colons
de meurtres
crus
Ô
Mississippi
tachés du sang gris
des Noirs et des Indiens
et même le métis
en a les mains salies, noires, grises
De tes rives
O sel
sali
du cristal de tes mains
blanches
si blanches
O sel de lumière!
O sale pestilence!
*
-Tout ton corps s'apparente au fleuve
Mon corps aura donc souffert
autant que toi?
Parmi la douleur
l'ivresse et les grands enfantements
nous serons dans les rapides
et parmi le ruisseau
les tiques la rivière le corbeau
demain
je te rejoindrai.
*
Mais le sang est dans l'eau
celui du métis
celui de l'indien
Et encore plus au nord
celui de l'eskimo et de ses chiens :
Comment ils l'interpellent
celui-là dans la glace
mangeur de viande rouge
carcasse
au coeur non pas de viande blanche
*
Et l'humeur des nuits
coeur rouillé
là dans le ciment le gravier de tous les printemps
les roches la source
et les étages des glaciers
tombant sur le massacre de ta race
*
Moi des criques à la mer
j'arrive
par les criques éphémères
de l'amitié
Et le Nord est perdu
dans ses fleurs et ses messes
à l'heure où même les brebis se taisent
*
Ton corps est un fleuve
J'écris dans ton corps
de pauvres écritures
qui sont les livres de nos
existences
*
Des mots
j'ai jeté
au creux de la poussière
jusqu'aux étoiles pestilentielles
*
Aux marées
elles sont tombées
comme des fruits
dans l'eau aux mers
ces lettres closes
en cercles à la surface
des vents et des eaux
*
Pour toi je les ai descellées
ces lettres dénouées
jetées à la tourmente
des outardes
ces peaux que j'ai jetées
à l'offrande de la glace
dans un ciel donné
celle du carcajou
de l'ours
dont je n'ai pas suivi la trace
derrière la glace le piège de la neige jaune
sur la carte
*
Sur la route de la musique
franche tu tombes et coules aussi
comme la crique folle
femme fille parmi les criquets les cailloux
parmi les eaux molles
les neiges les glaces et les feuilles qui craquent
la lettre entre les doigts
*
Épris encore de ton visage
il coule ce fleuve
cent raisons de dire et de vivre
jusqu'à l'écho de tes ponts
de tes criques, tes ruisseaux, tes rivières
voies lactées
francs boisiers
ces fleuves
*
Je sautai dans la glace
pour faire peur aux ménés
vers la gloire de la peau
à tes ports et marées
afin de le chanter depuis l'amphore
le vin rauque rouge
des années
l'amphore
étincelante
aux grottes de ma chandelle
*
PARTIE II :
LETTRE AUX FLEUVES
Lettres à la crique
Le rouge en haut : passion en pensée
Le bleu au coeur
Les herbes folles et le passé
Sous les pieds
Parmi les papillons
Que je cueille
Avec le blanc manteau
-non loin du grand pin, du sentier-
Et les couleuvres roses!
Les flûtes
Je les ai sculptées
Dans la forêt
Avec l’appel de l’enfance
De la rainette sur sa branche
Près de toi -avec toute la classe, le geai, l’hirondelle, le pic-
Ma crique,
D’un roseau!
Et je me souviens toujours
De les voir en chœur sortir de l'école
Revenir de l'église :
La cabane
Au creux de l'église des bois
Le sucre dans les bacs
-ou entre les doigts!
Et moi, entre mes pattes,
La chaudière dans la neige
La sève était bonne
-Je l’ai bue au cours d’eau
Avec les écrevisses!
*
Lettre à la rivière
J’étais dans l’eau
Crapaud
Que tu as embrassé
À l’astre-laboratoire
Timide
Excessivement mal dans ma peau
Dans mon sang une épine
Je t’ai regardée
Tu te demandais
Bien
Ce que je faisais là, couché sans rien faire
Il fallait me blesser
Mais la sphère a tourné
Et s’est retournée
Et le Coeur a battu
Et s’est débattu
Et toutes les sirènes ont chanté
Sur terre, dans mon sang
Mais toi, consternée
Tu t’es tue
Silencieuse
*
Lettre au fleuve
Le long de tes rives
De sel
Ô fleuve
Tu chemines
Des braises au grand flot
La mine dans l’eau
Richesses de Notre-Dame
Qui résiste au fort
À ton eau tes palissades
Et aux eaux montantes
Jusqu'à tes forges et tes forêts
Tes monts et tes grands ponts
Le miracle des dunes
Parmi la rivière oubliée
Éperdue
De Cornwall
À Sept-Îles
Depuis toutes ses îles et ses Anticosti
Vieilles terres
Laissées derrière
Écosses et Norvège
Aux bancs d’hommes et de morues
Bancs d’outardes
D’où les blonds ciels s’en sont allés
*
Ainsi que papillons
Faisant l’amour
À l’entracte
Entre les draps
De tes marées
Et ton limon linceul ressuscité
Aux lèvres au rêve de tes rives
Au mythe du soleil
Comme la grand-voile
Tu barricades de bleu
De blancs sablons
De ta rocaille
Et de tes algues
Toutes goûteuses
Tes Orléans et îles aux oies
En nos artères et en nos veines
Tigre de neige et d’eau de glace
Qui rugit au sommeil
Des eaux brisées
Par les baleines
Fendant les glaces
*
PARTIE III :
AUX ORIGINES DE LA SEINE
Avignon :
Lettre au Rhône et aux origines
Loin des ponts
Sur mon trône brisé
Accroupi je descends les rapides
Les chutes
Vers les Adirondacks
Ou vers St.-Michel, ce sable
Dans la glace
Encore vers La Rochelle
En descendant la Seine
De Loire ou de la cène
Avec l’arche :
Mon canoë
Et ses animaux
Depuis la Venus
Et l’oeuvre de Milan
*
Qu’avez-vous à chanter
Vos folklores
Parmi la neige jaune
Trois pommes dans votre sac ?
*
Un flacon de vin
Sous l’aisselle
Sur une botte de foin
A trois pas de la sieste
Sous un arbre blond
Au bord de la route ?
*
Vos trois cœurs de pomme :
Voici
Un pour ma mère, l’autre pour ma femme,
La dernière pour ma fille
Qui toutes m’enchaintèrent
Des chansons de pommes
Sans même un mystère.
Mais je déblaterre :
Sur le pont cassé
Trois cœurs de pomme
Pour devenir un homme
Dans le désert
Ça fait un bon dessert.
*
Sur le pont d’Avignon
C’est le filet
mignon
*
Montez, sortez de Seine!
-Aux origines de la Seine
Montez, sortez de Seine
Le coeur sur la main
Montez sortez
Notre-Dame de Panama
De Seine
Aux lèvres de Rabelais
Le chant gras aux veines
Chantez
Montez, sortez de Seine
Jusqu’aux bleuets aux incendies
Les flammes, le venin
Tout chaud, tout frais
De mots-murmures
Chemins qui sonnent
Un chemin sur la langue
Vers les chenins des peines
*
Prenez les avirons
Montons jusqu’à l’Isle
Jusqu’aux Grand Teutons
À l'Île aux grues à Pointe maligne
Prenez l’Athabasca Jusqu’en Abitibi
Prenez la Saint-François
Vers le Manitoulin
Vers le Manitoba
-tout droit vers l’Alaska!
*
Aux lèvres
De la rivière
Montée de reculons
Comme au coeur du Saumon
De sockeye du chinook
Dans le cœur de sa blonde
Jusqu’aux grands moteurs
De Coaticook!
*
Et prenez Le Bras de fer
Montez à Trois-Rivières
Ou à Montebello
La peine dans les mains
La chanson dans le corps
Car c’est l’aviron qui nous mène
Qui nous mène
C’est l’aviron qui nous mène en haut
*
Alors montez sur Seine
Mes caribous
Montons
Montez
Sortez de Seine
Et partez les moteurs
Aux confins de la Terre!
Cyrano le gredin
Sans suivre le chemin
Saison après saison
Année après année
A le coeur sur la main
Mais le doigt dans le nez
*
Lettre à la Garonne
-Au pas de la terre
Se baigner
-pieds nus-
Dans les roches
Ou dans le fromage
Le vin
Haut
De froment
A levé la terre
Pendant cent ans
Des grottes
Jusqu’aux pas dansants
De cro-magnon
Sur la terre
la rocque
Le levant!
Aux pas dansants
De la terre
Levés
Le pas dansant!
*
Loire
À ton échine
Tu cours
Déviée
À la cour, aux chemins
De province
À la main
Au corps fauve des matins
Sans écorce
Des châteaux
Jusqu'à la veille
À l’aube de ta cheville
Pays
Longeant ton corps
De simple
Mystère
*
Hérault
*
Aux gorges!
J’ai retrouvé le Jourdain
Rêve d’un monastère
Aux berges
les chemins!
*
PARTIE IV
LES FLEUVES DE LA TERRE
Italies
Italies
tes Tibre et tes Arno
le long de ta peau
comme un grand caribou
je viens
longer tes eaux
dorées
de majesté
cogner à la porte
du paradis
Devant vos panaches
O grands italiques!
devant vos fontaines
et vos doux abreuvoirs
aux lèvres de la place
sur tes enceintes tes tours et tes châteaux
à tes égouts étrusques
où j'aurai mis mes lèvres
aux poudres
au doux vin du baril
*
Et dans le grand manège,
que je m'incline!
aux langueurs du Tibre
et à ses enceintes
et depuis son Arno
et depuis son Ombrie :
ses ombres et ses éclats!
vibrant dans les ruelles
depuis l'enfance creuse
au large de sa voix!
*
Et -que je m'incline-
ces mots :
devant ses églises
devant ses cathédrales
que l'Étoile Haute
du Nord !
et devant la pervenche
et le lys aux roches !
tout cela devant moi :
que je cueille le lys
et le mette sur ta peau
ta robe ou
en ta chevelure
comme si le roi éstoit
vous n'étiez que cela!
*
-moi dont le faux crachat
ne fut pas une bombe
mais la sève des colombes!
Et par la porte du paradis
et les cloches qui sonnent
que cela soit jadis,
à l'heure et au jour
d'hui !
*
Le Danube
-À la confluence
des peuples
Depuis tes forêts noires
Suaves forêts
Et tes châteaux de vérité
Longés par la rive
Au repos
Muette
Tu promènes
Les fauves secrets
Et rejettes
Les barricades :
Car les Daces ont chanté
À tes rives
Et paradé
Au regard amer
Stoïque des Romains
*
Le Rhin
-Le chemin de la rencontre
L’adversité naquit
De la frontière
D’un fleuve
Ou de la Glace
Aux chaînes
De la montagne
Au ruisseau
Gamin
Que l’on ne traverse
Que sur un pont de bois
Ou une roche
La rencontre se fait
En tendant le bâton
*
Mékong
-Fleuve de lait
Fleuve de lait
Fleuve de sang
Fleuve qui brait
Fleuve du temps!
Mékong
je t'attends
au bord des rizières
au moment
*
Et doucement j'avance
vers les fleuves du bas
ceux des États
aultres
Ceux qui nous laissent
seuls
se débrouiller
s'étancher
se calciner
la peau
noire
dedans
*
le corps noyé
parmi les peuples
le corps noyé
dans tout son étalement
comme aux rives des grandes avenues
*
Et l'amour
laissant sa trace
sur la rive
dans la glace
*
Lettre au Tigre
et à l’Euphrate
-Lettre à l'humanité
En vos céramiques
Tigre
Euphrate
Homme
Tu grattes les coupoles
Fleuves
Jumeaux
La source dans le mot
La langue qui coule
Dans l’argile
Découlant du Nil
Comme un manteau d’ocre
Les demains auront été portés
Du terroir
À la veille
Depuis les champs humides
Les brousses brûlées
Bois en ruines
Eux-même défrichés
Ensemencés
Tigre
Vous aurez
Entrevu les peuples
Nomades vêtant les peaux
Et les agriculteurs aux chats
Et aux chevaux
Tirés par les maîtres aveugles
l'Euphrate
Vous aura chanté
Les flots dans les larmes
Et les rives aux genoux
En cent empires
Tous plus hauts
Que l’Autre...
Elle
Plus grande que tout
Et les peuples portés
Pris en otages
A vos lèvres
Rivières!
Par la liberté d’une seule
*
Jourdain
Une eau maquillée
D’écrits
Et des cris de la terre
En une traînée
D’apocalypses
De mots tonnerre
Du loup et du tigre
À la source de l’ouragan
Et du glacier
Jourdain
Ta terreur simple
Ornée du miracle
De la peau
*
Rideau :
-Des cygnes au corridor
Ô Rideau
Ton voile
Sur les cygnes
Tu dénoues
De Vanier
Au centre-ville
En passant par les parcs de Côte-de-Sable :
L’ardeur des chutes
Et la grisaille de la reine
Des oies et des tortues
De la vraie mère.
*
Kongos :
-À tous les fleuves Congo
À tes récifs
En tes étoiles
Je suis coupable
d’être Vivant
Je suis la soif des voiles
Des courants
L’histoire
Sauvagesse
N’a jamais connu
Ses propres vents
*
L’Or de l’Afrique
La sève et les sueurs des fleuves Congo
Tous les Nils masqués sous le silence
Ses poteries ses squelettes
Aux lèvres rouges :
Razzias des Amazone
Le feu à la chair
Des hommes et des femmes.
Foncez vers l’Amérique!
Bravez les tempêtes!
Laissez votre trace
A l’or du minerai !
Sous le regard du pape
Le territoire
Pacifié
La rive
Déserte
D’hommes
De femmes
-Nil rouge
Ressuscité
Au grand bruit des chevaux
*
Vagues
De sang et de cendre
Vagues sur la côte
Le fleuve avançant
Vers l’intérieur :
Mer rouge aux grands vaisseaux
Le roc
Couvert
Des peaux
Des ancêtres
Les femmes et les enfants
Séparés
À la source
*
Et la danse
Les masques
Aux côtes des plantations :
Les trésors dans le sang!
Meurtres chez les « macaques ».
*
L’Ile meurtrière
Des volontés
De ses bijoux
De l’Amour Roi
Parmi les cannes à sucre
Pleine de chevaux
Qui pillent
Pillent
En croisant les femmes
Et les enfants
*
Et l’Estoile du Nord
Délaissée
Comme une lettre écrite
Avec du gras
Avec des cordes et des marchandises
Avec l’or et la fosse
Le café et le cacao
L’enfant
La femme
L’homme
Captifs
Sur le bord de la rive
*
Mer rouge :
-Aux origines du Nil bleu
Loin des crabes de Cape Cod
Mais si près
Si près de la réglisse
J’ai mis les pieds dans la Mer rouge
Dans la mer, rouge, morte
Dans le Nil
Je posai les pieds
Au delta de vert
Loin des déserts abyssins
Là où les lions et les hyènes
Combattent
J’ai mis les pieds
Dans le Nil rouge
Source des continents
De l’homme
Que vous avez défendu
De l’épée du lion!
*
Mais que dire?
Que faire
De tous ces chenapans
Gredins qui vous tempèrent
Le poison
Sur les lèvres
Avec au front une croix
Et une marque
*
Il n’y aura dans le coeur
À la fin qu’une crique
Menant
À la mer
*
©François Baril Pelletier