Chansons
ROUGE REPAS SUR NAPPES BLANCHES (1996-1999)
Rouge repas
Rouge repas sur nappes blanches
Le Titan d’amour enragé
Fauve repas sur blanches hanches
Et dans les vins un naufragé
Sombre repas
Au bout de la table, la bête
La voix ruminant sur la planche
Et les feux qui montent à la tête
Par les vins que la haine tranche
Que les cieux boivent mes sacrifices!
Que les musiques et le vin pissent!
Voici ma voix tombée des cieux!
Femmes de joie, ogres joyeux!
Des cris de joie, vitres cassant
Coupes levées, buvez les sangs
Que nous avons chipé aux Dieux
Les haines et les amours en tranches
Le géant mange son souper
Bave l’écume, ah baves blanches,
croque tes vivantes poupées!
Coule le vin, coule la femme
Roucoule l’homme qui rend l’âme
Coule le cœur en sa tranchée
Le cœur à la gorge tranchée
Les vignes lui montent aux cuisses
Et le vin coule et le sang pisse
Voici les festins du dégoût
S’exclament les amants pudiques,
Nous ne nous abreuvons pas d’égouts
Ni de vos vieilles baves chiques
Mes amoureuses, me voilà
Voici la voix que je tiens à la gorge
Voleurs O les mains lendemains
Taxi
Mon soupir boite et se dégorge
Mon cœur à quatre pattes feint de mourir
A genoux sur les morts.
*
Lit de Noces
Mélancolie colis de noces
coups d’états fauves et chairs atroces
l’amour se cache dans les bécosses
alléluia je suis précoce
Baisers goinfres repas du jour
Au bungalow tombent vautours
comme des mouches dans un lit
Rouges cadavres et peau pâlie
Champagne pour les invités
Cet hôte est si bien fréquenté
À moi, on me baigne de becs!
Piquez-moi dans un bain à sec!
Les fourmis montent ma monture
Piquent mes genoux de maux
Les oiseaux se posent aux clôtures
Dans la cour de mes derniers mots
Mélancolivrez-moi
aux grands pigeons d’Espagne
qui nichent aux cathédrales
qui surmontent les bagnes
et survolent les toits
Laissez-moi aux cigales
ou aux coléoptères
aux tigres de Bengale
ou aux noires panthères
Aie-je en main ce colis
au nom du vaste monde
c’est -ignare folie-
tout mon amour immonde.
*
Un baiser de Corinthe
Un baiser de Corinthe
Que la vie est lépreuse!
Tes salives absinthes
Et puis la mort affreuse!
Le plaisir aux aguets
Et le cœur aux abois
C’est moi le malheureux
Le con béni des dieux
-le fou buvant aux sources
ou ont chié les rois
Devant toi sur la table
sur un plat
repose devant toi
le monde
l’océan titanique déposé
dans ton sein
sur un plat
-l’oasis de colère
frêle mets délicat
dévoré sur tes hanches
et sur tes petits seins
Les pas de l’assassin
Dans l’assiette succulente
Langue limace lente
Les vins rouges couleuvres
sentiers trouvent fentes
vers les déserts immenses
les hordes de chameaux
qui s’empiffrent de maux
et les bijoux sacrés
pendentifs exécrés
qu’aiment les Musulmans
Aux tempêtes de sable,
tu portes
l’œil crevé du cyclope
qui se ferme en silence
et le mépris, la lance
qui te regarde encore
derrière la porte
Non,
l’Ogre a trop aimé,
trop bavé
reviens, nappe marée basse
draps où je t’aimerai
aux plages sabliers
tout tachés
des sangs blancs
rives où s’étalent les poissons morts
et puis les coquillages
-et puis les coquillages.
*
La femme symphonique
I.
Du haut,
la mer t’a laissée sur les sables mouvants
d’un grand front
rive où les vents échouent
en horizons de rides que marque la mémoire
et que la fraîche rebroussante
chevelure des vagues
couvre d’algues brunes qui se lèvent aux vents
et que la marée morte déjà rapporte
dans l’alcôve où les eaux sombres
ont sommeil.
II.
tes joues se réveillent après la pluie
porteuses de sensations arbres de fruits
railleuses, elles se moquent
de ce qui jaillit dans les lèvres
et dents d’écumes et coquillages
les pirates ont oublié des plus
jolis trésors
cachés masqués par les simples terreurs de vos visages
et les pleurs portés habits de morts
des tortures et des vols atroces.
III.
ton cou trace gentiment les chemins aux vampires
hôte au sang blanc mare qui descend
à boire les poitrines
delta blanc côtes à tomber au large
aux proues de vagues de chairs et de laits
rocs où se cassent les doigts tremblants
sirènes déboutonnées par des marins ignares
tétines étoiles que les marins suivent
et boivent des yeux dans les déserts de mémoire
maudite mort sauvés nous sommes
astres des corps célestes
que les savants astronomes cherchent encore
seins des amantes lointaines de nos regards
dans les toiles de l’espace
sablier qui nous fuit.
IV.
Toi tu sais ce que j’aime :
la proie de ton visage et tes yeux qui fuient qui galopent
aux sables de ton front où coulent tes sourcils
couleuvres qui descendent et se cachent aux terriers
papillons cils des déserts rouges
où s’abreuvent les conquêtes
et se tuent les amants
pour voir un peu plus clair
dans les brouillards opaques gardiens des ponts bleus
tremplin des suicidés
voyage des heureux.
Ton nombril où se ramassent les rosées
que je veux boire
auprès des longs sommeils qu’apportent les matins
les mystères les mondes en lourdes épopées
où se retrouveront
les parfums graves des vieilles tragédies
les sèves eaux sucrées
les sangs
des rois héros vaincus vainqueurs aimés
des dieux
des luttes magistrales et symphoniques
des fables des Hercule
des Samson cyclopes et minotaures
des sacrifices et des crucifixions
et l’essence vivante
de l’humanité bue en une seule gorgée
oasis sur les grands déserts de ta peau où je bave
à en mourir ici.
V.
Tes cuisses que longent les falaises longues et fatales
où les grands vautours ont niché
pondant leurs œufs dans de grands nids
partant revenant avec de serpentes envies
voici l’antre cathédrale gothique
que les seins gargouilles guettent
et que les yeux cloches attirent
voilà sacrée comme vous dites
femme bénite qui fait couler les vins blancs
sangs du christ.
VI.
Ton dos où passent les soirs caravanes
laissant dans le sable les traces de leurs roues
dunes fouettées par les griffes du tigre
territoire où pisse
la sueur qui perle jusqu’aux fesses
et que couvent jalousement les fauves
qui chassent ici la nuit
-voilà l’ombre
qui suit la femme
tel un dernier soupir
à l’aube rouge que les chiens
suivent sentent
comme un sexe.
*
Les nuits miraculeuses
Pauvre nuit dépotoir où s’étoilent les débauches
auberge où se boivent les boissons d’adieux
hôtel sacré où les espoirs se touchent
aux grands champs asséchés d’un grand lit pluvieux
où se frôlent les putes pour s’aiguiser la bouche
Nuit! Valse avec tes peines délicieuses
et tisse les splendeurs dans ta crinière rousse
aux spectres éjaculés des palais que tu frôles
où naquit le plaisir parmi les fausses couches
et le rêve en alcôve que les sensations fauchent
Au firmament bordel que tu pleures toujours
somnambule amante des grands sommeils profonds
adieu Nuit obscène aux chants crottés d’amours
et aux grasses haleines de plaisirs de Typhons
Tes femmes de plaisirs qui sentent le houblon
expirant les empires d’extases des cieux
achèvent cette nuit dans des lits d’adieux
et elles périssent blanches avec des longs cris longs
Voici Mâle la nuit que croisent les Tridents
cathédrale vagin puits des miracles bénis
sangs!
Vulve nuit carrousel grand festin et fruits
blancs!
léchés par les farouches lèvres et croqués par les
dents!
pêche en haute mer
noyade au firmament
pauvre pêche
de poissons multipliés
aux bouches alléchantes
érection
lente torturée pénitente
Christ monté mort sous les linceuls
crevant son dernier râle
en propulsant le poison chaud
comme un geyser.
*
Milles vies
Mille vies déjà que je dors ah sans toi
Ne te reconnaissant que de songes incertains
En nuits blanches de lunes que je mords en putois
Et me traîne à ta peau l’hameçon des tétins.
En ma panse déserte, ton mirage chatoie
comme de l’eau, et ta peau est une orgie à boire
De tes seins de Vénus à tes yeux de putain
Tu te veux à la fois l’hostie et le ciboire.
De ton absence folle, je bois et festoie
Car ceci est ton corps sur ma table intérieure
Qui me couvre de rires au silence railleur
Et je jouis et je meurs en mille patois.
***
FABLES (1997)
Les pigeons de Paris
Les pigeons de Paris, maigres et plein de débauches
Éclateront vivants et nus dans ta poitrine
Et même si j’ai froid, si j’ai nuit au sein gauche,
Mon front sera plus droit que la muraille de Chine!
Et si mes grands dragons viennent sur toi pleurer
Ou éclater d’éclairs en grandes symphonies
Saches belle, naïve, cruelle l’ignorer
Surtout saches que lionnes sont mes agonies!
Je la ferai perler à mon doigt, la gentille!
Je la ferai râler entre mes tristes bras!
Mon cœur accaparé de ces idiotes filles
comme on jette des huîtres, n’en voudra pas!
Quelle ébauche, ce cœur! Ah! bonheur plein de rides!
Je saurai t’attraper au cou mon grand gibier!
Et je jetterai aux loups mes tristes fleurs stupides
Mes chansons pour les oies et le reste au gravier.
Car en mon cœur, il y a des tigres de granit
Ravageant les basiliques et les puits
Des prophètes crevant et folles décrépites
Promettant tous leurs pleurs aux grands rires des nuits.
Sur moi elles chanteront ces putes de cent ans
Et ce bon vieux délire qui passe en pouffant
En me tendant les doigts et me cassant les dents
Non je ne suis pas triste, je suis fier et grand!
Et quand viendront à moi les rois violant la Loire
Et ceux des rives mortes aux palais parricides
J’enverrai le boiteux aux yeux d’olives noires
Leur dire que la nuit me tient lieu pour guide
-leur dire que la vie me tient lieur pour guide.
*
Chants des jardins du Luxembourg
Que de soleils de soifs!
Que rives asséchées!
Il faut qu’on se décoiffe
De nos lèvres séchées
Et de la main fatale
Ah, tant ivre de cimes
Je te couvre, brutal,
D’un nécessaire crime!
Je me jette à la mer
Comme se rue le troupeau.
Aux grands flots de la chair
Je plante mon drapeau!
Et je cours aux sentiers
Où mène ta voix râlante,
Aux chemins effacés
De tes haleines lentes!
Ah, que coule le temps d’érotiques amours!
Au sexe du printemps
Jardins du Luxembourg
Fraîchement dévoré
Comme une île de Crête
Polyphèmes égarés
Buvez, mes grandes bêtes!
Que se baigne l’amour
Dans un grand lit de feu
Au grand cri des vautours,
Des sangliers, des Dieux!
Que les amants renaissent
Des fables desséchées!
Pour que réapparaissent
Délices et péchés!
Et que le vin jaillisse
Au grand goût des cerises
Que rouge plaisir pisse
d’Arches et tours de Pise!
Que les baisers se glissent
comme roses bouées
Aux chairs en sacrifice
Qu’ils soient distribués!
Baisez, je vous en prie
De rosiers et de vignes!
Emplissez mon esprit
De baisers nobles et dignes!
Aux délires des nuits
Bus, nus en une coupe!
Ah, buvez mon ennui!
Mon ivresse en chaloupe!
Percez de votre haleine
Le violent cœur des nuits
Que chante la baleine
Et débordent les puits!
Baisez, adorez-vous
Jusqu’à la fin du monde
Aimez-vous, loups garous
Mes fragiles colombes!
Râles et roucoulements
Brûlants aux lits d’adieux
Laissez écoulements
Parfumer les cieux!
Par les magies des nuits
Par les grands cœurs farouches
Faites couler le fruit
Jusqu’au creux de la bouche!
Allez nus dans les bois
Déposés au ruisseau
Dans la paille des rois
Chanter mes beaux oiseaux!
Jusque dans les marais
Dans la mort s’il le faut
Tout au creux des palais
Aux chambres d’échafauds
Ah, je veux vous entendre
Je n’ai que quelques vœux!
Vous allez bien comprendre :
Faites ce que je veux!
Voici l’âme promise
L’hostie tant savourée
La vie ah tant éprise
L’orgasme déployé
Et la joie souveraine
Lentement dénudée;
Vite, va jouir pleine
D’extases de Judée.
*
Le chant de l’Ogre
J’étais fou le soleil était rouge et mes yeux
Dévoraient les nuages et buvaient les cieux
Et mon corps étendu sur la terre entière
réclamait son dû : Ho! Qu’on m’en donne le tiers!
Moi descendant d’illustres et très nobles crétins
Fils du monde, Grand singe, l’esprit diablotin
Dansant sa solitude en des fleuves de danses
Aux lits où je baisai les putes décadences.
Je gueulais : j’ai si soif! J’ai si soif! Donnez-moi
Des perles des amours des grands fruits de l’émoi!
Donnez-moi de la vie le grand sein qui crépite
ou des palais vaincus, les tragiques pépites!
Des châteaux, des aimées…. ah, venez à ma bouche
reprendre sécheresses à mon grand sein farouche
Et ainsi enflammé par un souffle d’ailleurs
et mon souffle affamé comme mille haut-parleurs
Se levait
tel se lève le grand soleil à l’est
Tel s’embrase la faim, se propage la peste.
Je gueulais : j’ai si soif! Que je fus dégoûtant
De m’être rassasié de ces tristes étangs
Lorsque mille marées de mille océans
Se disputaient les pieds de mon cœur de géant!
Dites-moi comment trouver le plaisir grand et louche
En ce triste bordel, comment trouver sa bouche
Et l’ogre criait vaincu, tragique et plein de sangs
et ne lui répondait
-que le grand vent passant.
*
Fable
S’il fallait que les songes te mitraillent
comme des chants d’oiseaux
Si tu savais -dans tes tiroirs- toutes ces orgies
tous ces massacres en pays chauds
Tous ces fauves secrets qui séduisent les femmes
en leur aiguisant l’œil en leur longeant la cuisse
en leur accrochant l’âme
S’il fallait que te conquièrent les cœurs armés de morts
des suicidés des impérieux, des misérables,
Les discours bien-aimés des prêtres et des malades
Les chauffeurs de tendresse qui fument l’ignorance
S’il fallait que t’emportent les peurs et les détresses dans leur vaine parade
Les pleurs dans leur armée
Les morts dans leur étable
Si la mort te chipait les orteils en passant
-ou le bout de la poitrine!
Si le vent te fouettait cruellement la langue!
Si tu ne te trouvais plus en haut des palissades
lorsque je passerais
Si je ne savais plus où
–dans quel pays dans quel château dans quelle chambre te trouver
car je n’entendrais plus ta triste voix chanter
Si te violaient sans cesses les chameaux de leurs cornes
les putains de leurs doigts
les amours de leurs bornes
Si d’horribles espadons te reniflaient l’oreille sans merci
Et si les papillons te perçaient
de leurs regards de chats mourants
et te tuaient avant le lever de l’aurore
Si les poissons, les gribouillis, ne chantaient plus dans tes phalanges
Si tu tombais de pierre du haut de mes palais
Si les cruelles lumières des constellations t’empalaient de rayons
pour te prendre avec elles
Si venaient ces charlatans pour te voler un sourire
ces brigands pour te prendre un trésor de regard
afin de les revendre à des ports corrompus
ou des sceptiques qui ne croyaient pas en toi
te partageraient en repas
S’ils venaient pour puiser ta salive et puis pour récolter
tes vignes amygdales
pour boire ton vin
et puis s’ils dévoraient tes joues
tes seins rouges
S’ils apprêtaient tout ton corps pour leur festin
Si tu te donnais toi-même aux ogres
-tes lèvres et ta langue, si tu te laissais rôtir,
les rêves ruminant en mon sein
ou si tu ne les laissais plus engraisser dans ma grange crânienne
Si tu n’étais plus si pure et sans faute
Si mon cœur dans ta main, tu me laissais mourir,
vif et avec toi
cuire perdu noyé mort ou crucifié
Si tu rendais mon sang à sa source
laissant ma solitude déliée de la tienne
et ma tête libre tomber dans un panier
Si tu ne trouvais plus les nids pleins d’œufs
colorés
sous les clochers étranges de mon cerveau
Si tu ne venais plus me trouver
nue, le soir en mes caveaux
Si tu ne laissais plus les colombes et mésanges
roucouler ton plaisir
les hirondelles aller et venir librement
en ton sein
si tu ne baisais plus la fourrure de mes griffes
Te rongeais plus la peau
N’embrassais plus mes crapauds
Si tu ne mourais plus le soir de violents caprices
Ne te rassasiant plus du bon vin de mes veaux
Si tu t’offrais en nourriture pour les éperviers
Si tu laissais mon cœur faner sur le gravier
Si ne te tordait plus la soif d’âme aux grands déserts du ciel
Si tes yeux ne s’y envolaient plus papillons
Si tu laissais ma voix mourir dans un vallon
Ma passion dans l’eau, mon corps dans un wagon
alors pour la vie, pour la mort,
la douleur, pour de bon
-De mes larmes vieilles et chagrins nouveau-nés
je me ferais de pierre une nouvelle aimée.
*
Monologues de l’homme au front
Ils vous diront que j’aurions
beaucoup plus de front
que de tête
ils vous diront aussi peut-être
les bajoues toutes pleines d’émoi
qu’ils se foutent bien de moi
moi crocodile quand je pleure
et vieux rat dans je souris
Mais vous verrez le gruyère dans leurs yeux
leurs colliers de cicatrices au cou
leurs petites griffes aiguisées
et vous saurez bien qu’eux aussi
parce que les rats se bouffent entre eux
et enfin
ils vous diront la tête haute, antique de tour de Babel, toujours
en construction, plein de nids de faucons et de songes voraces
d’autres décorations et ribambelles
ils vous diront
avec une voix de tapis rouge étalée en cérémonie vers les
grandes parades mascarades et manies, pleine d’orchestres et symphonies
ils vous diront
avec les gestes gigantesques
des avions traînant des mots d’amours et puis
avec un soir d’été grotesquement flambant
avec toutes les exclamations et tous les
postillons
feux d’artifices commandés de Hong Kong et puis de
Singapour
ils vous diront
avec l’oeil avide du gendarme et la bouche du Niagara
la dent affamée du tigre de Bengale et la soif du Sahara
ils vous diront avec des gros mots de baron,
une couronne de lauriers et la petite larme posée pour l’occasion
et autres dispendieuses petites compassions
et après tout cela, ils vous diront
que je suis
et rien de plus
sinon aussi que je parais
et puis peut-être que je vis
et que je sais je ne sais pas
et puis ils vous diront le temps venu
comme la pieta devant le christ en croix
«à la vôtre!»
Et puis ils vous feront signer des papiers
des papyrus et des bouteilles à consigner
et puis pour le sort et la fortune
brasser passer casser
classer jeter les dés
les fautes les folies les péchés
et puis
ils vous prendront par la main
celle avec des trous dedans
et puis dans vos yeux ils se noieront comme Narcisse dans l’eau
et dans un petit coffre entrouvert
ils trouveront les maux du monde
dont ils se pareront comme des bijoux
et puis ils inventeront les mots pour le dire
ils vous diront que j’invente que je raisonne faux
comme d’une caverne ils vous diront que je mens
mais moi
moi, je vous dirai
qu’ils ont bien raison
car je viens d’une grotte où j’ai fait des dessins
où j’ai perdu la tête. mais l’ombre m’a jeté ici d’un geste
serein, ici où la lumière trop réelle du soleil m’a brûlé les
yeux
où le monde, sur sa langue, m’a fait fondre lentement de plaisir
et je suis arrivé ici-bas, au fond
là où le bonheur et la mort sont tressés
dans la forte chevelure du peuple
à peine sortie de prison
déchiffrée de ses propres mains
de ses oeillades barreaux
et qui réclame sa faim
qui aime qui périt pour l’amour
du ciel
mais pas du ciel divin
du ciel des matins
et celui des grandes soirées de grands feux
et de vins.
ils vous diront que
nous sommes tenus par bien plus que des mains
et vous saurez qu’ils ont raison.
*
Le chant de la romance
Mais tu es revenue un soir au ventre rose
toi que j’avais surprise à te montrer, éclose
de la pornographie au pape de tes rêves
sur une table douce où le malheur crève
Et gorgé de manies, je me suis souvenu
que le roman se fait quand on a l’âme nue
alors j’ai bien voulu oublier à mon tour
la tristesse de mes trop opaques amours
Et j’ai choisi de faire de la prostitution
pour une poésie qui se sauve du vrai
que nous soyons amour en cette position
à s’ébahir aussi au rêve que tu fais
Et que les pêches fauves déferlent dans nos mains
afin que la langueur se pique, marabout
Et que notre indifférence se mette à genoux
pour sucer notre oubli de très grands lendemains.
*
La montée des idoles
J’attrape les bourreaux au vol
Comme si c’était de vieux bourdons
De martyrs papillons fols
Qui portent au front des chardons
Ils voguent dans les métropoles
Aux terres aux stars de béton
O strip teaseuses des rues molles
Des étoiles sur les tétons
Et pauvres putasses aux seins lourds
Aux silicones brosses à dents
Les dents jaunies par les carrefours
Où elles sourient aux chars en bans
Étampent fièrement dans l’asphalte
De leur nouvelle Canaan
Leurs fesses ouvertes sur la malte
D’Hollywood en Ramadan.
*
Les robes de l'hiver (1995)
Ta robe en rafale
Sur ta peau blanche
Seins qui dévalent
Froides hanches
Te donnent l’air d’une avalanche
Et gracieuse tu coules en soupirs sur moi
Et me couvres, me moules et m’enfouis et me noie
En de folles caresses et baisers enneigés
En ton grand lit de glaces où je ne suis plus roi
Où mon corps et mon cœur impuissants sont ta proie
Pataugeant aux sueurs et aux baisers fondants
Aux grands flots de l’ivresse et du désir coulant
Où l’enfer n’est plus rouge, mais aussi
très froid.
***
AUTRES CHANSONS (2001-2006)
Le cosmographe
A ton territoire
La lune a hurlé
Tu as mis tes gants blancs
ton costume de ballerine
De faux passeports
De faux passeports
Pour l’accès a ton corps
*
Pardonne mon orthographe
Mais je voudrais être
le cosmographe de ton lit
me faire le géographe de ta peau
devenir cartographe de tes puits
être le typographe de tes mots
connaitre le phonographe de ta voix
me faire le scénographe de ton corps
devenir sismographe de ta vie
être le chorégraphe de tes nuits
*
Scuse-moi Mamzelle
Mais je voudrais
Apposer ma signature a tes lèvres
Faire l’investiture de ta sève
À la nomenclature de tes rêves
embrasser l’échancrure de ta robe
Et à la conjoncture de tes terres
Faire l’architecture de ton palais
à la préfecture de ton coeur
À la villégiature de tes ports
Enlève ta feuille d’érable
Je veux te voir nue
Toi mon corps mon palais
À ton Nil
Sur ta Loire
Chien je marque mon territoire
*
J’aimerais être le récepteur de tes bruits
Et le percepteur de tes heures
me faire le rédempteur de tes cris
Être le récolteur de tes fruits
Être le semeur de tes jours
Être le gardeur de tes royaumes
Être le gardien de tes psaumes
Être l’allumeur de tes bougies
Et être le serviteur de tes rires
le gladiateur de tes soirs
le berger de ta gloire
*
Faire la contrebande de ton corps
et le vendre à des chefs mafieux
tes jambes ton rire et tes yeux
et même tes chevilles
de petite fille
tes hanches tes orteils
tes mamelons vermeils
Je te laisserai dans tes bateaux maudits
aux cales cramoisies
où des matelots
abuseront de toi
déchireront tes habits
du haut des pont-levis
et ils seront jetés
dans les mers profondes
aux tempêtes
à l’appétit du monde
Je ferai le monitorage
l’industrie de ta voix
le commerce de ta chair
l’échange de tes saveurs
Au japon
dans des quartiers louches
derrière comptoirs privés
et dans les dépanneurs
aux salons de tabac
Je te jouerai au poker
à chaque soir
pour savoir
qui paierait pour toi
qui te remportera
*
Une femme
J’ai faim pour une femme
une femme aux longs doigts
qui allume ma flamme
et fait lever les draps
J’ai faim pour une femme
une femme de choix
qui sait jouer des gammes
qui fume et qui boit
J’ai faim pour une femme
aux cuisses agoras
aux yeux où l’on ne rame
mais marche pas à pas
J’ai faim pour une femme
aux seins de fleurs écloses
aux doux seins d’une dame
comme des camélias
J’ai faim pour une femme
une femme de soie
qui enlève mes armes
et fait baisser ma voix
au corps où l’on se pâme
aux hanches où l’on est roi
au corps où l’on s’affame
aux cuisses où l’on se croit
j’ai faim pour une femme
une femme de choix
qui fait monter ma flamme
et fait tomber ma croix
*
Ces montagnes rudes
Dans les visages y’a des marques de naufrage
Par les frontières y’a des marques de fer
Sur ta peau y’a des marques de serres
D’oasis en oasis
de désert en désert
tu as bravé la solitude
Et même si ta cruche est fêlée
par ici va passer l’eau
l’eau qui va tout nettoyer
Et nous les graverons
ces montagnes rudes
*
Tes chemins ont été découverts
Tu as bravé les grandes mers
Et les déserts de cœurs secs
Les métropoles somnifères
les grands coffres des misères
et tu as mangé les pastèques
Tu as parcouru à dos de cavale
et aimé comme un coup de vent
souffert aux bracelets du mal
aux bracelets d’argent
Mais même si ta cruche est fêlée
Par ici va passer l’eau
L’eau qui va tout nettoyer
Et nous les graverons
ces montagnes rudes
*
Tu as allumé les torches
Dans les cœurs et dans les yeux
ramené les sources aux roches
Et les pépites au feu.
Et maintenant ton cœur est plein
comme une ruche d’abeilles
tu es libre comme un soleil
l’barrage qui coule dans ton sein
est brisé
et l’eau coule dans les mains
de ceux qui veulent s’abreuver
Et nous les graverons
ces montagnes rudes
*
Tu as ressuscité les haines
pour en faire un brasier
Et tu as parcouru les plaines
de nos coeurs blasés
Tu as rompu les barreaux
de la haine et du froid
pissé sur les fardeaux
dressés contre toi
Mais même si ta cruche est fêlée
Par ici va passer l’eau
L’eau qui va tout nettoyer
Et nous les graverons
ces montagnes rudes
*
Tu as vu les côtes désertes
voyagé aux lèvres
maté les océans
te tenant tête
dressé le coeur des bêtes
Tu as vogué sur rivières d’asphalte
navigué sur les lacs de ciment
jusqu’aux rives sans serments
fait des portages dans le sang
Et maintenant ton cœur est plein
Comme une cruche à donner
Tu vas la jeter dans les mains
de ceux qui veulent s’abreuver
*
Mais même si ta cruche est fêlée
Par ici va passer l’eau
L’eau qui va tout nettoyer
Et nous les graverons
Ces montagnes rudes
***
©François Baril Pelletier