Nuit noire rubis (1999-2008)
«Mon discernement s’est éteint dans les opaques ténèbres de l’aveuglement,
et ma conscience a sombré aux abords de l’océan du désir»
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Le livre des morts tibétains
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*
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L'OBSCUR PASSAGE
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Forêts d’ivoire
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Parmi débris
grottes d’absences
j’ai écrit des psaumes :
pour percer le silence
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largué brises de feu
par delà la fureur
de vivre
au ventre de soirs
*
Aux tours rouillées de songes
je gisais, rapiécé, parmi la mémoire
​
cherchant promesses
aux alcools de la rime
​
aux jours plâtreux de cimes
telle une courtepointe
de soupirs au cœur
​
​
​
*
À la source, j’ai voulu boire
tel un amoureux
​
J’ai trouvé des yeux noirs
les yeux sublimes
de la bête
​
trop creux trop profonds
plus vieux que des nids de jade
les fossiles voilés
tel un brûlant passage
l’épreuve vers le bleu
*
J’ai embrassé
la lèpre des silences
des silhouettes
de grands coffres de bois
j’ai creusé les serrures
Mon armure s’est fanée
au large de la chair crue
et mon masque a pleuré
les larmes profondes de la mer
aux parfums d’algues brunes
*
J’ai marché et remarché
dans des forêts d’ivoire
Des savanes et présages
mon pied a foulé les herbes hautes
Mais la folie était plus grande encore
Du haut de ce mât
j’entendis ses chants roses
Et je sentis comme fouets
sur mon corps
ses plaies béantes
*
Par les nuits incarnat
j’ai laissé ma peau
dans les steppes
gorgées
des derniers au-revoir
Aux traversées
j’ai empli
mes carafes de grand désert
et mirages de sable
À la caverne des prophètes
je cherchai la coupe des soifs inassouvies
mais je n’en trouvai pas même le liquide
sous mes pieds
ruisselant
la terre craquelée
*
La folie venait toujours s’étendre
marbrée
sous mes couvertes
Je sentis ses côtes infectes
touchai ses seins brûlés
Nul dans ce taudis n’aura autant touché
cette sombre beauté
De ses grandeurs aveugles
j’écrivis des chants rauques
plus laids les uns que les autres
faisant l’abjecte commémoration
de cette sirène
décharnée
*
Au magma dérobé
du ventre
de la terre
entre ses côtes précaires
de par ses seins versant
geysers
de par les champs
déserts
toujours dissimulé
dans des caves secrètes
chatoyait l’or des morts
la sagesse perlant des coffres
éventrés
reposant bien scellée
sous l’humus
et les fleurs inodores
*
Je cherchai
les pierres d’angle
les œuvres et transparences
écrits de l’ombre
parmi les lueurs de l’habitude
soieries de l’existence
et par ma désolante marche des steppes
je sondai
la preuve de mon passage
dans l’histoire
​
*
​
Des gales aux genoux
​
Des gales aux genoux
comme uniques bijoux
​
je rugis dans les champs
comme un prédateur
affalé
​
armé de vents
​
un gamin de dix ans
en quête de papillons
*
Au seuil
de la forêt enchantée
​
Je retrouve les enivrantes
odeurs du passé
mon histoire
aux sous-bois
errant
en quête d’un baiser
d’un seul baiser salé
*
Puisque tout
un jour
disparaît
sous la chaleur de l’autre
ces forêts de brindilles
attendent
le temps des bûchers
le doux mariage du feu
blancs parfums chassés
qui resurgissent
tels animaux fuyant
les grandes fumées
d’argent
​
*
​
​
UN ROYAUME GRENAT
Mes blessures
sous la lune écarlate
mes yeux de torches de chandelles
pour éclairer
trous noirs
feux d’une nuit
sans étoiles
une nuit pour les pauvres
*
​
Consolé je suis
par les bêtes
Je pleure des grosses larmes de sel
De mon visage tombent
de lourdes grimaces émeraude
Dans la nuit noire rubis
des perles entre les poings
je me bats
*
Parmi
les mirages
alors que le prédateur
éloigné de la meute
guette sa proie
intime
dans ma solitude
aux charnels barreaux
je fouille les décombres
je sauve les vestiges
mon être chambranlant
J’ausculte
la chair
en devenir
les nouvelles cicatrices sur ma peau
la marque de l’éclair
sur mon front
*
Des aigles
tombent
des nues
tombent comme comètes
crèvent
dans des champs
d’anges asséchés
pissenlits au vent
J’aurai bien trop cherché
les os de l’Amour
aux catacombes
décharnées d’un magasin
aux ruines d’une tour cassée
s’écroulant dans son mythe
*
Étendu sur des terres
je guette les orages
les oiseaux qui s’envolent
brûlés
par un ciel sans nuages
Les étoiles sortent
la tête
de brumes
dans un lit bleu
se lovent
comme des bêtes constellées
*
Et parmi tous ces lambeaux
de continents
ces bouts obscurs de matière
ces morceaux de beauté
je me retrouve encore nu
silhouette étoile filante
dans ma pensée invertébrée
*
Les songes expirent
oiseaux atteints
frais présages
agonisants
Agates
au cœur fossilisé
La peur s’étant déployée
par les nouveaux paysages
comme un étendard noir
*
Ici
dans ma demeure
aux cordes sensorielles
ma source perlant
de fentes brûlées
j’écris en hiéroglyphes
en signes indistincts
en fragiles chapelles
de sens
*
Dans la tourmente
je me prends pour un oiseau
en chute libre
Mes ailes s’y noient
Je caresse l’ouragan
Les gouttes de pluie tombent
sur ma nuque nue
Je fonds aux plénitudes hautes
*
Les anges tombent encore
sur nos planchers de prélart
gris
yeux d’opales
corps de braises blanches
cœur brûlant
dans les fournaises
l’âme de grands vents
chez qui
les nuits sont fatales
et les jours sont construits de pierres anciennes
*
Là-bas, dans nos nids clandestins
des serpents masqués
dénudent
l’univers
La pourpre se dissémine
se répand
comme une plaie vive
Le poison s’infiltre
dans les pans du royaume
dans les draps nuptiaux
*
Une blessure d’homme
aveuglée
par les lumières ardentes
d’un ciel aux mille pétales
d’une vie aux mille sens
*
Il y a quelque part
un château
dans les vagues
aux vestiges lumineux
d’univers baroques
des nuits laiteuses
aux quasars
lampadaires
mille astres
Quelque part, là-bas
dans des yeux
qui scintillent
comme des feux follets
dans l’archéologie d’un visage
*
Dans la réalité de cette source
il y a la semence de tous les rêves
et l’empreinte de ce que l’on craint le plus
*
Quand on poursuit
la sente
vers ces royaumes évaporés
par ces rivières
nos cicatrices s’ouvrent
notre poitrine
haut parleur chante
tonitruante dans ses battements
frétillante
sur des traces révélées dans le noir
les traces de notre cœur préhistorique
les premiers balbutiements
les premiers affûts
*
Plus loin
l’on chute
parmi les échos
chants des démons blancs
aux cris
vestiges sourds
L’on tombe
comme dans un ascenseur flambant
comme une souris qui coule
lentement
sûrement
au ventre
de la vipère
Loin des bras d’une mère
l’on tombe
comme une tempête
de sables
*
Quand le tremblement
passe
je m’agrippe à mes murs
de silhouettes
d’ombres fondues
qui s’estompent au réel
Je reviens d’un long voyage
ayant longé les côtes des grands souterrains
là-bas
dans la douleur d’un rêve caverneux
*
Je longeai des mers
comme enfant on longe un ruisseau
l’esprit éclipsé par la lune
le cœur fécondé
Dans mon être muré
de rêves
de désirs
battu par la mer
par mes enceintes
je participai au mal
égrenant fleurs de cendre
appelant eaux
de pluies
de tempêtes
*
Je me réveillai lourd après de vains combats
errant comme un mythe
sur de vieilles plages
Je traînai l’écho
sur de hautes plaines de guérisons
Les années qui ont passé
je les égrène maintenant
comme un chapelet
*
Pour garder près de moi dans la longue marche
vers l’étoile du courage éteinte
​
je sculptai sur ces horizons
des rêves lampions pour sortir
du noir
Dans les fin-fonds lunaires
je traquai le vide
ses traces dans les glaises
par les broussailles du désespoir
piaffant
*
Par mon cerveau
aux volets ouverts
béant
dans l’espace
nuée
​
présages tombant à tue-tête
de cieux battants
je marchais guettant
les oracles
le nombre d’oiseaux
les chiffres les adresses
Je lisais dans tous ces nombres
prédictions vagues
fatales
*
Aux souffrances
trouvées en moi
je commençai à voir un sens précieux
Je crus
entendre des paroles guérisseuses
percevoir le vol
flamboyant
des archanges
qui me murmuraient des mots à l’oreille :
les sentiers menant en dehors du mal tentaculaire
à travers le portique d’une passion tranquille
*
J’avais développé un langage
pour comprendre
le vol des oiseaux
Je prenais auspices
conseillais aruspices
et tous les oracles venant entre mes mains
Mon ciel contenait présages
de ce qui viendrait
orages
visages d’avenirs
​
*
Par arides étendues
je gardai là où s’assoiffent les animaux
l’espoir-bougie
que les vents transporteraient mes restes
ramèneraient verdures
et rafales fraîches
par mon intérieur laissé aux ronces
et aux mauvaises herbes
​
Et cet mon espoir-luciole
ne fut jamais tout à fait mort
​
Il illuminera de clartés
mon passage nocturne
*
UNE GRENADE LOURDE
​
​
Il ne suffit pas de tomber
​
Il ne suffit pas de tomber
Il faut chuter convenablement
se fracasser l’être
tomber de tout son soûl
et caresser grafigner les murs de sa débâcle
​
en tombant
laisser parler les œuvres de sa maladresse
tomber avec grâce et gravité
bien engorgé d’amour
Or je suis tombé
avec fracassement
plus mûr
qu’une grenade lourde
​
le long des rêves éclatés
​
mon corps dans tout son étalement
​
​
*
​
Ce grand mal
tardait à quitter le temple
​
siégeait
sur le corps
comme une maladie qui sévissait en moi
allongeant ses racines pour mieux me tenir
​
La vie se déroulait pourtant
en mon absence
suprême
​
​
​
*
​
​
La mort peut-être belle
porter en elle
semences
​
les petites morts
qui parsèment
nos vies
​
la sècheresse
peut pousser l’homme
vers des sources
que ne connaissent que les oiseaux
​
Malgré les pierres foncées
portées sur le dos
par vastes immensités des sources
il suffit
malgré le mal
de miser sur le plus chétif
des bonheurs
pour à la longue
en faire un rayon
​
​
*
​
​
Les rêves ont été bien cordés
sur la grève de ma jeune vie
​
les réservoirs pleins furent bientôt
asséchés
les planètes alignées
Le mal qui hantait
mes tics
monta en gerbe
au cerveau
puits à sec
bientôt branché
par le haut
*
Ma pensée
satellite
soudain
recevant d’azurs
messages codés
​
parlant télépathique
​
traversait orages électriques
​
connaissait une mise au monde
​
dans une dimension de sens secrets
où tout est lien mathématique
​
de prédestination
​
​
​
*
​
​
Pourpre dévoilement
et le voile soulevé devant mes yeux d’homme-secret
visions de sauterelles blindées de silence
éclatant muettement dans mes idées
blanchies
par la faim et le manque de sommeil
À errer dans les rues
de clocher en clocher
rutilait une prière nocturne :
​
la sombre litanie des anges dépossédés
de leur lumière
​
​
*
​
​
​
​
Que mon âme proie se donne
à son ami cruel
dont les crocs sont ma rouge salvation
​
Que mon cou-fontaine rassasie la faim
de ces ombres bestiales qui s’acharnent après moi
qui ont besoin d’une victime
d’un bouc émissaire
Telle est ma tâche
Mais que mon sacrifice soit fait pour cette raison éclatante
et que croisse de cette mort une nouvelle pousse
*
​
​
Ma terre de fleuves
Aujourd’hui
je mendie mes jours qui tournent
Dans la grande spirale mon souffle fleurit
aux quatre vents
Je tiens mon cœur coquillage
mon cœur cormoran
mon cœur naufrage
-coulant entre mes mains
Mais je suis égaré comme une brebis sans nom
Je fonds dans un futur indistinct
comme parmi de vieilles billes
*
Ancêtre
je suis les traces qui ont mené jusqu’à ma chute
à la dérive une étoile derrière la tête
m’étant promené aux rives
les pieds gommés par algues vertes
les orteils percés
par les coquilles fendues
​
Des souvenirs tout neufs dans l’eau
-et l’ancre de mon amour
​
Mes reflets ne témoignent pas de ma réalité
​
Ma chair désormais vit dans un passé
telle la rive qu’on perçoit à peine
au loin
​
​
*
​
​
Je marche dans mes hémorragies
pays aux tempêtes opalescentes
​
Je me promène sur les mers mauves
​
Je marche d’île en en île
flottant sur la marée haute
​
Et quand la mer
se dénude
la plage à perte de vue
je retrouve trésors coquillages sans âge
Ma peau mue comme un serpent
Je perds mes couleurs et je redeviens blanc
*
Quotidien constrictor
Je me retrouve
vieux lion rachitique
au royaume amoindri
aux plaies
ardentes criques
Mon feu de camp
se meure
aux yeux des spectateurs
et je suis à chaque pôle de ce maigre feu sans braises
à fixer l’endroit précis ou le bleu profond
épée violette
flamboie
*
Pourtant
par mon pays de clochers éteints
je suis revenu dans mes vieilles habitudes
sur mon île de pissenlits
mon dépotoir d’étoiles
mon lit de jours et de nuits
ma terre de fleuves
Je suis revenu parmi les miens
Ici je peux
quêter au vent mes mots d’amour
sur des feuilles rouges ou jaunes
Je peux observer les oiseaux déferler
dans leurs chants
et faire bruisser
l’automne
à nos pieds incertains
*
Douleurs
blancs lilas
rouges écorchures
croissant
Incendies fleurs
léchant les murs
pompant mes nerfs
en gerbes
depuis ma tanière psychique
ma cache sacrée
mauvaises herbes
vous êtes maintenant en bouquets séchés
Il ne me faut qu’une excuse pour réinvestir
mes temples dévastés
mes églises blessées
Les pousses dans mes serres refleurissent
de plus belle
en toute saison
Que tout alors grandisse
*
Dès lors
Je crée mon humble monument
J’imprime ce qu’il peut rester
de mes paysages
cet univers pourpre allant sur le noir
Je constitue mon tumulus
mon œuvre d’homme ou d’enfant
Je laisse mes confessions de rescapé
mon testament de cœur battant
mon modeste chant
libre
de par le monde
*
Je recherche
une parole voltigeuse
pleine des couleurs des potagers
qui bruit intime dans l’oreille
comme un ami
mouvante comme la rivière
voyageuse
migratrice
profonde comme crypte
riche comme le dessous des mers
*
Et lentement
je réapprends à voir
par mes yeux intérieurs par mes yeux réels
les fresques tapageuses du monde des vivants
en délaissant la main
de l’idéal
-l’idéal sculpté par une faim malsaine-
pour saluer le présent
qui défile devant nous tous
avec son tapis blanc
afin que nous y marchions
comme sur des braises
*
Cerf
tu es mon frère
et mon totem
En toi
j’ai souffert
quand t’ont descendu
les dents à ton cou
le loup et puis la meute
*
Étoiles éteintes galaxies expirant
si nous sommes faits de chair
sommes-nous donc composés des restes de l’univers?
Je m’émerveille
Tout cela doit avoir une naissance
Que peut-il naître du néant?
Tout a toujours été
Il y a plus d’étoiles étincelantes dans l’univers que de grains de sable
Rien que cela et nous avons envie de croire
que tout fut créé
par des forces incompréhensibles
*
Or il y a longtemps
que je me suis donné
aux dents des bêtes
qui m’ont appelé
comme des spectres magnétiques
un lien métaphysique
nous unissant
comme celui unissant le prédateur à la proie
Et ma mort a eu lieu
à ce moment précis ou mon crâne était
ruisselant
C’est à ce moment
que je mourais
l’ancienne personne
que j’étais
sur le lit de l’hôpital
tombant pour plusieurs jours
dans un sommeil nécessaire
comme une ville morte
après grands feux d’artifice
*
Les sphinx en moi sont maintenant éteints
carbonisés par d’anciennes lunes
cependant que luit une lumière nouvelle
qui éclaire
la nature des choses
Ne se précipitent plus
monstres en fleurs
assiégeant
les arrières de ma pensée
vides tourbillonnants
de leurs ailes
voltigeant
en mon esprit tenaillé
dans un chaos
viscéral
brut
Voila qu’il m’appartient
de ne pas me laisser emporter
par ces anciennes bourrasques
qui soufflent
maintenant
comme
des brises rafraîchissantes
*
Par des cieux éclaircis
sur les ruines victorieuses
d’un passé
dont je connais
les traces et les architectures
je bois maintenant un vin doux
sur des terres sans tremblements
par une nuit
sans cris
Mais elle est ici la lumière
reflétée
des planètes
non loin des rives
des réservoirs
des vins
des corps sacrés
tout près des étincelles
alors que s’enterrent lentement
dans ces anciennes nuits faméliques
ces visages grotesques
grimaces souriant
mémoires disparaissant
dans les vides du soi
*
Mon squelette contient une boule de feu rose
cœur tremblant scintillante mouche à feu
tendant son corps chancelant
appât pour les poissons des sources mitigées
Cœur o crevasse
grotte endormie
caverne d’espérance
tu laisses jaillir tes empreintes
rendant tes ténèbres ou donnant ta lumière
frétillante sur tes parois
Et au creux de tes paysages
cœur branlant
ton noyau crépite
lave
sur une terre abrupte
par tes mille trésors enterrés vivants
tes canyons brûlants
*
J’ai gratitude
de ce qui me fut donné
par la vie opulente
de ce que j’arrivai
à vaincre
dans le ciment des nuits
Combien d’années
m’a-t-il fallu
pour nettoyer ces caves
fétides
grouillantes d’insectes
pour illuminer ces grottes
nocturnes
sauvages
pour laver les taches sur les murs usés
Ce qui fut entrepris avec une bougie
se termina par la création d’un puits de lumière
Une lumière parfois décevante
bien trop réelle
enfouissant le miracle
dans sa chair d’éther
*
​
​
©François Baril Pelletier